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Le cauchemar de la façade Est
Soumis par Jean-Louis Marrou le dim, 09/12/2012 - 17:54
Avec le quadruplement de la Cour Carrée, Louis XIV, le roi Soleil, peut commencer à mettre en scène son rôle de monarque absolu. Un cauchemar pour les architectes successifs chargés de concevoir l’aile orientale, face à la ville.
Après son couronnement en 1654 et son mariage avec l’infante Marie-Thérèse en 1659, Louis XIV finit par endosser, à 23 ans, le rôle du monarque absolu. A la mort de Mazarin en 1661, il décide de ne pas remplacer son principal ministre et d’assumer, lui-même, la responsabilité du gouvernement.
Le roi Soleil est sur orbite. A la grande fête du Carrousel, donnée en 1662 pour la naissance du Dauphin, il se pare définitivement de cet emblème.
Le retour du Grand Dessein d'Henri IV
Le Louvre devient, alors, pour une vingtaine d’années, l’un des instruments de communication privilégié de la splendeur du monarque. Finis les réaménagements ! Place au Grand Dessein ! On remet à l’honneur le projet du grand père de Louis XIV. Une ordonnance royale de 1660 ressort des cartons les plans imaginés par Henri IV.
Le quadruplement de la Cour Carrée doit être dorénavant mené à son terme. On projette non seulement d’achever la cour sur les quatre côtés, mais aussi de l’étendre au Sud par un pont sur la Seine, puis, sur l’autre rive, par le Collège des quatre nations : une idée de Mazarin.
A sa mort en 1661, le cardinal-ministre a légué une partie de sa fortune pour instruire les gentilshommes issus des quatre nations rattachées à la France depuis 1648 : l’Artois, l’Alsace, le Roussillon et... Pignerol (ville du Piémont, dotée d’une forteresse par Louis XIII). Le Collège des quatre nations (aujourd’hui Institut de France) sera finalement construit par Le Vau entre 1662 et 1688.
> Restez au centre de la Cour Carrée.
> Pour plus de confort, asseyez vous sur le bord du bassin central, en faisant face à l’Est.
> Vous êtes ainsi orienté vers le centre de Paris et l’Hôtel de ville. (la Seine est sur votre droite)
Pour quadrupler la Cour Carrée, l’architecte du roi, Louis Le Vau, commence par faire raser, au Nord et à l’Est tout ce qui reste du Louvre gothique, ainsi que neuf hôtels particuliers dans les environs immédiats du vieux château.
Ensuite, à l’angle Nord-Est, dans le prolongement immédiat de l’aile Lemercier, Le Vau fait édifier un nouveau pavillon, le Pavillon de Beauvais. Puis, il le fait prolonger au Nord par une nouvelle aile, comparable aux précédentes (un rez-de-chaussée, un étage noble et un attique). Même opération au Sud : on prolonge l’aile des reines, en la doublant d’un bâtiment identique.
Le Vau se casse les dents sur la façade orientale
Enfin, à l’Est, Le Vau entreprend les fondations du grand édifice qui doit venir compléter la Cour Carré. Depuis François 1er et la condamnation de la porte du Sud, l’entrée du Louvre se fait par l’Est, c’est à dire face à la ville. C’est dire l’importance de cette nouvelle aile de l’Est. Une importance stratégique.
Depuis l’insurrection d’Etienne Marcel, au 14ème siècle, les relations entre la ville et le château ne sont pas toujours au beau fixe. Certains monarques comme Charles V ont même eu la tentation de se retrancher dans la vielle forteresse pour se protéger de la ville.
En affirmant son pouvoir absolu, Louis XIV doit à la fois montrer qu’il n’a rien à craindre de Paris et clamer haut et fort sa grandeur et sa puissance. De surcroît, le jeune monarque à l’emblème du soleil, a la ferme intention de se mettre en scène à travers un nouveau style qui marquera l’histoire. Un sacré défi pour Louis Vau !
Fils d’un entrepreneur en bâtiment, Le Vau, avant de devenir architecte du roi en 1654, s’est formé et illustré en construisant plusieurs hôtels particulier dans l’île-Saint-Louis, Après avoir construit pour Nicolas Fouquet, le château de Vaux-le-Vicomte, il rénove tour à tour le Château de Vincennes, le Louvre et le Palais des Tuileries. Un sacré pedigree !
Pourtant, Le Vau, à qui l’on doit des bâtiments aussi élégants que l’Institut de France, va se casser les dents sur la façade Est du Louvre. L’enjeu est tel qu’aucun projet n’a l’heur de plaire au roi, ni d’ailleurs à Jean-Baptiste Colbert, l’homme influent du nouveau régime.
Nommé en 1664 surintendant des bâtiments et des manufactures du roi, Colbert refuse, tour à tour, les projets de Jacques Lemercier et de Louis Le Vau. Le jeune Jules Hardouin-Mansart, élève de Libéral Bruant, l’architecte de l’hôpital de la Salpêtrière et des Invalides, n’a pas davantage de succès. Les exigences du roi tournent au cauchemar.
L'architecte des papes entre en scène
Aucun projet n’est assez imposant, assez élégant, assez nouveau ! Pour en sortir, Colbert fait appel en 1665 à la star du baroque : Gian Lorenzo Bernini, 67 ans, peintre, sculpteur et architecte des papes. Le grand artiste italien vient d’achever, à Rome la colonnade de la place Saint-Pierre. Qui dit mieux ?
Seulement voilà, Bernini, surnommé le Nouveau Michel-Ange, entend faire au Louvre table rase du passé. D’entrée de jeu il propose de tout reconstruire, s’attaquant même à l’héritage le plus précieux : l’architecture Renaissance de Pierre Lescot. Colbert a tôt fait de ramener le grand homme à la mission initiale : proposer un projet novateur pour l’aile de l’Est, face à la ville.
Hélas, les deux projets successifs présentés par l’architecte italien n’auront guère plus de succès que les premiers. Les conseillers du roi leur reprochent tout à la fois de contrarier l’architecture de Lescot, en créant un deuxième étage. Et puis, ils ne sont pas assez novateurs. De fait, l’un d’eux rappelle étrangement les plus austères palais de Rome ou de Florence !
Mais pas question de contredire et de vexer l’architecte des papes ! On approuve le dernier projet, on en pose la première pierre en grandes pompes, puis, l’on renvoie l’artiste, grassement payé, dans son pays natal. Exit le Louvre de Bernini et retour à la case départ !
Les Perrault passent à l'action
Stratégie classique en cas de crise : Colbert charge alors une commission restreinte d’élaborer les plans de la façade orientale. En font partie Louis Le Vau et Charles Le Brun, chargés depuis plusieurs années de la rénovation du Louvre, mais aussi les frères Perrault, Charles et Claude.
Charles Perrault, aujourd’hui célèbre pour avoir retranscrit les contes français traditionnels, était à l’époque le bras droit de Colbert. Avocat de formation, il avait été nommé contrôleur de la surintendance des bâtiments du roi. C’est lui qui eut l’idée d’associer son frère Claude au projet de façade orientale.
Claude Perrault, docteur en médecine, membre de la toute première académie des sciences, était avant tout un spécialiste de l’anatomie des animaux. On raconte même qu’il mourut d’infection après avoir disséqué un chameau.
Ce chercheur en biologie avait aussi, semble-t-il, des connaissances en mécanique. Clairement, son frère faisait confiance à ses multiples talents pour apporter des idées neuves. Non sans raison.
Ente 1667 et 1670, la commission nommée par Colbert, en reprenant, repensant, remaniant, l’ensemble des plans proposés depuis plusieurs années pour la façade orientale finit par élaborer le projet de colonnade auquel est attaché, aujourd’hui, le nom de Claude Perrault.
Qui de Claude Perrault, de Charles Perrault ou de Louis Le Vau fut l’auteur de la colonnade du Louvre ? Nul ne le sait vraiment. Ce qui est sûr c’est que Claude Perrault en profita pour faire valoir ses talents d’architecte : on lui doit, entre autres, L’observatoire de Paris.
Colbert pouvait être satisfait. L’idée d’associer Claude Perrault était une bonne idée. La commission avait rempli son rôle. Finalement, le projet de colonade fut approuvé par le roi. Mais le cauchemar de la façade orientale ne s’acheva pas pour autant.
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