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Le Chevalier de La Barre fait la nique au Sacré-Coeur
Soumis par Jean-Louis Marrou le jeu, 04/10/2012 - 12:02

Qui se souvient encore du malheureux jeune homme victime, sous Louis XV, de l’intolérance et de l’injustice ? Sa statue, à Montmartre, a été conçue comme un pied de nez à l’ordre moral dont se revendiquait le Sacré-Coeur.
La démocratie ne se fait pas en un jour. Construit plus d’un siècle après la prise de la Bastille, le Sacré-Coeur est un des plus récents vestiges d’un système politique qui prétendait régner sur les consciences, en imposant sa religion. Un bien encombrant symbole contre lequel se sont battus, dès l’origine, les partisans de la laïcité.
Certes, la loi de 1873, qui déclara d’utilité publique la construction de la Basilique, avait été aisément votée par une assemblée à majorité conservatrice. Mais non sans débat : les Républicains s’étaient dressés vent debout contre un projet qui visait à remettre au coeur de la politique la religion catholique. Il leur aura fallu attendre 1905 pour obtenir, de haute lutte, la séparation de l’église et de l’Etat.
L'esprit des Lumières face à la Basilique
Toutefois, dès 1897, deux ans après l’inauguration de la nef du Sacré-Coeur, les libre-penseurs emportent une jolie petite victoire. Ils obtiennent du gouvernement l’implantation devant la Basilique d’un symbole de la résistance à l’intolérance, l’arbitraire et l’injustice : une statue en bronze du Chevalier de La Barre. L’esprit des Lumières fit ainsi un pied de nez aux tenants de «l’Ordre moral».
Aujourd'hui, comme vous l'avez vu, Montmartre célèbre, depuis 1885, la mémoire du Chevalier de la Barre par une très jolie rue en pente. En revanche, sur le parvis de la basilique il n'y a plus aucune trace de sa statue. Et d’ailleurs qui se souvient encore du malheureux jeune homme, victime sous Louis XV de l’intolérance religieuse ? Sans doute, ceux qui, au lycée, ont suivi avec attention le cours sur Voltaire ou sur les prémices de la Révolution française.
Le souvenir d'une affaire tristement célèbre
En 1762, François-Jean Lefebvre de La Barre, âgé de 17 ans et héritier d’une famille ruinée, est confiée à sa tante, l’abbesse de Willancourt, qui réside à Abbeville.
Trois ans plus tard, la profanation d’une statue du Christ sur un pont d’Abbeville entraîne son arrestation. De fausses accusations sont brandies contre lui, que les ennemis de sa tante se gardent bien de contredire.
Le jeune homme a le profil qui convient à ses accusateurs. On rapporte qu’il a refusé d’ôter son chapeau sur le passage d’une procession et on retrouve chez lui des livres interdits, notamment le Dictionnaire philosophique de Voltaire. Il subit la torture ordinaire et extraordinaire pour dénoncer ses complices. Puis, accusé de blasphème, il est condamné à être décapité et brûlé avec un exemplaire du Dictionnaire philosophique. Voltaire, qui se trouve, de fait, impliqué dans cette affaire, prend la défense du Chevalier de La Barre.
Une des grandes causes des Lumières
Ce fut avec l’affaire Calas, une des occasions pour le philosophe des Lumières de lutter contre l’intolérance et l’arbitraire de la justice. Ensuite, dans le sillage de Voltaire, les libres penseurs firent du Chevalier de la Barre un symbole de leur cause, notamment à Montmartre, face au Sacré-Coeur. Mais qu’est donc devenue la fameuse statue du Chevalier de La Barre ?
> Descendez le grand escalier du Sacré-Coeur.
> Traversez la première rue et descendez la seconde volée de marchez.
> En bas de l'escalier, tournez à droite dans la première rue et dirigez vous vers le funiculaire.
> Vous êtes dans la rue Saint-Eleuthère. Remontez la sur quelques mètres et pénétrez sur votre droite dans le square Nadar.
> Dirigez sur votre gauche vers le fond du square. Vous allez pouvoir admirer l’infortuné chevalier.
La statue reléguée, fondue, et enfin retrouvée
En 1926, sous prétexte d’un ré-aménagement du parvis et des jardins de la Basilique, on l’a déportée dans ce lieu paisible. A vrai dire, à l’écart de l’église, le symbole a perdu de sa force. Il a même failli disparaître corps et bien.
En 1941, en plein conflit mondial, le gouvernement du maréchal Pétain envoie à la fonte les statues en métal. Seulement voilà, il opère un tri sélectif. Il préserve les saints et les rois. Le Chevalier de La Barre, lui, n’échappe pas au massacre des tenants d’un nouvel «Ordre moral» à connotation brune. Ah les symboles !
Ensuite, les partisans de la laïcité auront dû faire preuve de patience. Il auront dû attendre 2001 pour qu’une municipalité socialiste inaugure une nouvelle statue du Chevalier de La Barre.
Financée par une souscription de l’Association «Le Chevalier de La Barre», la statue actuelle a été installée sur le socle d’origine, curieusement épargnée en 1941. Le sculpteur Emmanuel Ball et le fondeur Kalkolitic nous ont restitué le Chevalier, son sourire et son chapeau. Non sans mal ! Une association concurrente souhaitait que la statue soit refaite à l'identique. Louable intention !
Seulement voilà, le modèle d'origine (voir ici), imaginé en 1895, ne se souciait pas vraiment de la vérité historique : il représentait le chevalier comme un martyre de l'intolérance, sur un bûcher, avec à ses pieds le Dictionnaire philosophique de Voltaire. Certes, le chevalier a bien été brûlé, mais après avoir été décapité. En 2001, on lui préféra une vision plus symbolique : un jeune homme en habit de chevalier, chapeau sur la tête et mains sur les hanches, dans la posture qui le fit accuser, en 1765, à Abbeville, lors du passage de la procession.
Mais que vient faire Nadar dans cette histoire ?
Par un de ces télescopages dont Paris a le secret, la statue du Chevalier de la Barre se retrouve au beau milieu du square Nadar. Quel rapport entre le jeune homme exécuté en 1766 et le célèbre photographe du 19ème siècle ?
Gaspard-Félix Tournachon, dit Nadar (1820-1910), photographe et caricaturiste, connu pour ses portraits de Liszt, Wagner, Hugo, Courbet ou Manet, fut, en 1858, le pionnier de la photo aérienne. Il prit des photos de Paris à bord d'un ballon, au dessus de Bicêtre. Ce diplômé de l’Ecole des Mines de Saint Etienne se passionnait pour les nouveautés techniques et pas seulement pour les innovations photographiques comme la lumière artificielle.
Après avoir collaboré avec de célèbres aéronautiers, il se lance à partir 1863 dans la construction de ballons géants. C’est un flop. En revanche, pendant le siège de Paris, en 1870-71, il peut mettre sa connaissance des ballons au service du gouvernement. Il crée la Compagnie d’Aérostiers, dont l’objectif est l’observation militaire et l’acheminement du courrier. Ainsi naîtra, à Montmartre, près du marché Saint-Pierre, la poste aérienne du siège de Paris.
C’est grâce à Nadar et à sa compagnie d’Aérostiers que Léon Gambetta, ministre de la Guerre du gouvernement provisoire, put, le 7 octobre 1870, s’envoler pour Tours et organiser la résistance à l’ennemi prussien. Cet exploit valait bien un square à Montmartre. Hélas, il ne se situe pas près du marché Saint-Pierre, d'où s'envola le ballon de Gambetta...
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