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Le Sacré-Coeur n'a pas fini de faire causer
Soumis par Jean-Louis Marrou le mer, 03/10/2012 - 22:23

Le Sacré-Coeur est, depuis l’origine, sujet à controverses. Et pour cause ! En 1873, un gouvernement ultra-conservateur a vu dans sa construction l’occasion de remettre en selle la foi catholique, à l’endroit même où la Commune de Paris avait débuté.
On l’appelle familièrement le Sacré-Coeur. C’est l’un des repères les plus visibles de la capitale, un des lieux les plus connus dans le monde, avec ses 10 millions de visiteurs annuels. Et pourtant... Cet édifice de style incertain est, depuis l’origine, objet de polémique. La Basilique du Sacré-Coeur se dresse à l’endroit même où s’étalait, en 1870, un champ de canons. Elle a été construite sur le lieu même, où pour conserver leur artillerie lourde, des Parisiens ont fait fusiller deux généraux le 18 mars 1871 (lire notre article). De là à imaginer que la basilique a été construite pour expier les crimes de la Commune, il n’y a qu’un pas. Et tout incite à le franchir, comme vous allez le constater.
> Longez la Basilique, en remontant la rue du Cardinal Guibert, puis la rue Azais.
> Une fois face cette étrange église, tout à à la fois romane et byzantine, observez la attentivement.
Aussi blanc et boursoufflé qu’une meringue, le Sacré-Coeur n’a ni la beauté, ni le prestige, ni l’antériorité des plus belles églises parisiennes. Ni même leur orientation. Tournée vers le Nord et non vers l’Orient du Christ, elle n’est tout simplement pas «orientée», comme d'ailleurs la plupart des églises construites depuis la Restauration.
Avez-vous remarqué la position centrale de la grande effigie du Christ et les deux statues équestres, sur les côtés de la basilique ? Il s'agit de Saint-Louis et de Jeanne d’Arc. Ainsi, au début de la 3ème République, en quelques représentations, la France conservatrice et royaliste réaffirme qu’elle est fille aînée de l’église catholique romaine. Ce n’est ni une vue de l’esprit, ni une vision propagandiste de la gauche.
Retour à «l’ordre moral»
La décision officielle de construire le Sacré-Coeur remonte à juillet 1873. Elle a fait l’objet d’une loi d’utilité publique votée par 382 députés. L’Assemblée qui a la paternité de cette loi est issue des élections de février 1871, juste après la chute du Second Empire. Ce furent les premières élections de la 3ème République. Et elles ont donné à la France une majorité conservatrice, largement rurale et d’inspiration royaliste. C’est cette assemblée qui a porté au pouvoir Adolphe Thiers, responsable de la sanglante répression de la Commune en mai 1871, et qui en fera, en août suivant, le premier Président de la 3ème République, et le deuxième Président de la République - le premier fut Louis Napoléon Bonaparte, élu Président de la deuxième république en décembre 1848.
En juin 1873, trouvant Thiers trop républicain à son goût, cette même assemblée choisira comme président le Maréchal Patrice de Mac Mahon, en attendant l’éventuel retour d’un monarque.
Comme le prouve le premier discours de Mac Mahon, le nouveau pouvoir se réclame ouvertement de «l’ordre moral». Son premier objectif est de remettre en bonne place la religion catholique. Le projet de construction, à Montmartre, d’une église dédiée au Sacré-Coeur de Jésus y trouve très logiquement sa place.
Ce projet a fait l’objet d’un voeu : un voeu émis en janvier 1871, juste après la chute du Second-Empire et juste avant la Commune, par deux notables catholiques parisiens. Face aux «malheurs» de la France, mais aussi face à ceux du Saint-Siège pris dans la tourmente de l’unification italienne, les deux hommes s’humilient devant Dieu et promettent de contribuer à l’érection à Paris d’un «sanctuaire dédié au Sacré-Coeur de Jésus».
Ce sont les auteurs de ce «voeu» écrit qui font appel à l’Assemblée nationale et obtiennent le vote de la loi du 24 juillet 1873. Cette loi, en déclarant d’utilité publique la construction d’une église sur la butte, permet à l’archevêque de Paris Joseph Hippolyte Guibert de se porter acquéreur par expropriation des terrains de Montmartre. Elle prévoit aussi que la construction sera financée par souscription.
L’oeuvre d’un architecte diocésain
Un «Comité de l’oeuvre du voeu national» fut ensuite créé et décida, avec l’archevêque, que le choix de l'architecte se ferait par concours. Parmi les soixante-dix-huit projets présentés, il retint Paul Abadie, architecte diocésain de Paris.
La première pierre fut posée le 16 juin 1875. Le discours prononcé alors par l’un des promoteurs de l’église ne laisse aucun doute sur l’intention «expiatoire» : «Oui c’est là où la Commune a commencé, là où ont été assassinés les généraux Clément-Thomas et Lecomte que s’élèvera l’église du Sacré-Coeur.»
Dix millions de fidèles participeront, pour des sommes souvent modestes, aux financements du chantier. 46 millions de francs seront ainsi collectés en un demi siècle.
La basilique ne sera achevée qu’en 1914 et ne sera consacrée qu’après la guerre en 1919. Quant aux jardins, on ne finira de les aménager qu’à la fin des années 1920.
Au fait, pourquoi une basilique ?
Une église catholique doit son titre de basilique à une décision du pape, promulguée comme il se doit par une bulle. Ce titre, parcimonieusement décerné, concerne des lieux de pélerinage que le Vatican considère comme privilégiés, soit parce qu'ils sont consacrés au Christ ou à sa mère, soit parce qu'ils abritent les reliques d'un saint.
Le Sacré-Coeur de Montmartre, qui entre dans la première catégorie, a fait l'objet d'une bulle en bonne et due forme. C'est dire l'importance que le pape de l'époque attachait à cet édifice issu d'un voeu national, financé par souscription et considéré d'utilité publique par le très catholique pouvoir en place.
Un édifice digne du Guinness book des records
Que retenir de ce singulier édifice ?
- La blancheur perpétuelle de la basilique est due à une pierre auto-nettoyante provenant d’une carrière de Château-Landon (Seine-et-Marne).
- Une mosaïque de 473 métres carrés décore le plafond de l’abside : c'est la plus grande mosaïque de France. Elle a été réalisée, entre 1921 et 1923, en Emaux de Briare par l'Atelier Guilbert-Martin de Saint-Denis, d'après les cartons du peintre Luc-Olivier Merson (prix de Rome et membre de l'Institut). Elle représente, bien sûr, le Sacré-Coeur de Jésus, mais comporte une foule de détails intéressants sur les personnages de l'époque, les colonies ou encore les saints patrons de Paris. Cherchez et obervez Saint-Denis sur la partie droite de la mosaïque : il porte sa tête au niveau du bassin et son auréole est... vide !
- La cloche, la plus grosse de France, mesure 3 mètres de hauteur, 19 mètres de circonférence et pèse 19 tonnes. On l'a surnommée la Savoyarde. Elle a été réalisée à Annecy-le-Vieux par les ateliers Paccard. Et c'est un don des quatre diocèses de Savoie (annexés en 1860). La Savoyarde arriva en grande pompe sur la butte en 1895, tirée par 28 chevaux. Elle fut ensuite hissée au sommet du campanile, une autre curiosité du Sacré-Coeur. On pouvait, à l'occasion des grandes fêtes religieuses, l'entendre à 10 kilomètres à la ronde. Las ! Une fêlure est apparue (écoutez la en cliquant ici).
- Le campanile haut de 84 mètres : détaché de la basilique, ce clocher à la mode vénitienne fait irrésistiblement penser aux églises San Giorgio maggiore et Santa Maria della salute... En beaucoup moins réussi ! Une telle comparaison permet d'ailleurs de comprendre ce qui cloche au Sacré-Coeur. Les proportions ne sont pas harmonieuses : campanile pataud, dôme gracile.
- Mais, le plus remarquable - et le moins remarqué - des atouts du Sacré-Coeur c’est son dôme, dans lequel on peut grimper : à plus de 80 mètres de haut, c'est à dire à 200 mètres d’altitude en ajoutant la hauteur de la colline, il offre une vue à 360° sur Paris et sa banlieue. Incontournable !
> Pour grimper dans le dôme, prenez, à droite de la basilique, l'escalier qui descend vers la crypte.
> Au pied de l'escalier, n'achetez que le billet pour l'accès au dôme.
> Prenez votre souffle pour grimper les 375 marches.
> Faites une halte à mi-parcours : le passage à ciel ouvert, qui conduit d'un escalier à l'autre, offre une vue intéressante sur la basilique, l'église Saint-Pierre et les environs.
> Arrivé au sommet, prenez le temps de faire le tour du dôme. On y voit toutes la région parisienne. Rarissime !
> En descendant, évitez de visiter la crypte. Sinistre et sans grand intérêt architectural ou religieux.
Montmartre 2000 ans d'histoire