Louvre : l'énigme de la façade brisée

La façade Napoléon 1er du Louvre, Paris

Pourquoi ce disgracieux décalage dans la façade du musée des Arts Déco, aile nord des Tuileries, entre rue de Rivoli et Carrousel du Louvre ?


Entrez dans le hall du musée des Arts décoratifs, rue de Rivoli. Traversez le et ressortez du côté du Louvre. Vous êtes dans la Cour du Carroussel. Retournez-vous, faites face au musée des Arts Déco et observez sa façade.  Voyez vous cet étrange et disgraçieux décrochement. La partie de la façade la plus en retrait - et la plus harmonieuse - de la cour du Carrousel du Louvre date de Napoléon 1er. Elle constituait l'aile gauche des Tuileries (palais qu'habitait alors l'Empereur) et s’alignait sur la rue de Rivoli nouvellement construite. Elle s'inspirait de la façade de la Galerie du bord de l'eau (aile méridionale du Louvre, le long de la Seine) imaginée sous Henri IV par l'architecte Jacques II Androuet du Cerceau. D'où son caractère remarquable. 


Une reconstruction hasardeuse

Hélas, une moitié de cette aile des Tuileries construite sous Napoléon 1er  brûla dans l'incendie des Tuileries, à la fin de la Commune de Paris (mai 1871) . Quelques années plus tard, la 3éme République décida de la reconstruire en l'élargissant. Voilà qui explique le décalage. Mais nous avons échappé au pire : la 3ème République avait imaginé de raser ce qui restait de l'aile Napoléon 1er et de la reconstruire complètement du Pavillon de Marsan (à l’Ouest) jusqu’au pavillon de Rohan (à l’Est, construit à la Restauration et reconnaissable à son clocheton).

Mais pourquoi donc la 3ème République décida-t-elle de reconstruire l'aile Napoléon, en l'élargissant ? Il y avait là une raison de symétrie. La Galerie du bord de l'eau, de l’autre côté des Tuileries, le long de la Seine, avait été élargie sous Napoléon III, pour accueillir au rez-de-chaussée sa collection de voitures et autres carrosses... Sous la 3ème République, les architectes se calèrent donc sur le format de la Galerie du bord de l'eau pour reconstruire, de l'autre côté des Tuileries, l’aile Napoléon 1er.


Ce qu'il faut savoir de La galerie du bord de l'eau

La Galerie du bord de l'eau, construite le long de la Seine sous Henri IV, reliait le Louvre au Palais des Tuileries : soit un bâtiment de 470 mètres de long !  Pour ne pas engendrer la monotonie, sa réalisation (sous le règne d’Henri IV) avait été confiée, par moitié, à deux architectes : Louis Métezeau  (on lui doit les plans de la place des Vosges) et Jacques II Androuet du Cerceau (on lui doit le Pont-Neuf).

La moitié la plus à l'Ouest (celle qui a inspiré l'aile Napoléon 1er de la Cour des Tuileries) et le pavillon de Flore qui la prolonge ont été réalisés par Jacques II Androuet du Cerceau.

De 1608 (Henri IV) à 1806 (Napoléon 1er), la Galerie du bord de l'eau était occupée au rez-de-chaussée et à l'entresol par des artistes qui travaillaient pour le roi, échappant ainsi aux contraintes des corporations urbaines. Les artistes y avaient leurs ateliers au rez-de-chussée et leurs logements à l’entresol.

C'est Napoléon 1er qui a viré les artistes, parce qu'il craignait qu'ils ne mettent le feu au Palais et que sa collection d'oeuvres d'art ramenées de ses lointaines conquêtes ne soient abîmées... Bourge et parano le cher Napo !

Parmi les derniers occupants de la galerie : Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785), Jean-Baptiste Greuze (1725-1805). Précédemment, Georges de La Tour (1593-1652) y résida, lui-aussi.

L'étage supérieur (et noble) de la Galerie du bord de l’eau est tout entier occupé par une immense salle continue (là où sont actuellement exposées les peintures italiennes). A l'origine cette galerie permettait à la famille royale de passer directement du Louvre au Palais des Tuileries et donc de quitter discrètement le château, voire de le fuir comme cela s'est produit plusieurs fois dans l'histoire.


Des événements remarquables ont eu pour théâtre la grande galerie

Henri IV y promenait son chien et y organisa une chasse au renard pour le dauphin.

Quatre fois par an (Pâques, Pentecôte, Toussaint, Noêl), les rois successifs, d'Henri IV à Charles X,  étaient sensés y guérir les écrouelles (maladie tuberculeuse qui affecte les glandes du cou) :  1200 à 1500 malades se massaient, à cette occasion, dans la grande galerie.

L'impératrice Eugénie de Montijo a utilisé la grande galerie pour prendre la fuite au moment de la défaite de Sedan et de la chute du second Empire (4 septembre 1870).