Mairie du 8ème, l'hôtel de Jean-François Cail, un parvenu du Second Empire

L'hôtel Cail (mairie du 8ème arrondissement), 3 rue de Lisbonne, Paris 8ème

Tout un symbole l’hôtel Cail, rue de Lisbonne, où est installée depuis 1926 la mairie du 8ème arrondissement de Paris ! Le symbole de la révolution industrielle, celle des machines à vapeur et du chemin de fer, sur laquelle se sont bâties des fortunes rapides. Le symbole du capitalisme naissant qui a engendré le Paris d’Haussmann et celui, moins flamboyant, des barricades de 1848, puis de la Commune…


Cail ? Ce nom ne vous dit vraiment rien ? On en retrouve la trace dans la raison sociale d’une grande entreprise française, Fives Cail Babcock. Et, singulièrement, dans le titre d’un tableau de Paul Gauguin que d’innombrables propositions de copies rendent  célèbres sur Internet : « Les usines Cail et le port de Grenelle ». Mais qui donc était le propriétaire de ce site industriel du quai de Grenelle, l’un des plus importants de Paris  qui employait au moment de la Commune plus de 1000 personnes (à l’emplacement de l’actuel Front de Seine)? C’est le même homme que celui qui s’est fait construire, dans le plus pur style Second empire, l’imposant hôtel Cail de la rue de Lisbonne : un ancien ouvrier qualifié, originaire de Poitou-Charentes, qui avait amassé, grâce à l’industrie mécanique naissante, une fortune estimée à 28 millions de francs or. De quoi mener grand train de vie dans la Plaine Monceau, le nec plus ultra du Paris haussmanien... (un quartier chic, dont on ne soupçonne pas aujourd’hui qu’il a été reconquis sur l’un des plus sinistres bidons ville que la capitale est jamais connu, « La petite Pologne »).


Un ouvrier du tour de France

Apprenti chaudronnier parti de son village de Chef Boutonne (Deux-Sèvres) à 15 ans, Jean-François Cail a tout juste vingt ans quand il achève son tour de France à Paris, en 1824.  Après un passage de quelques mois dans une usine à gaz (ça ne s’invente pas…), le jeune Jean-François trouve à s’embaucher, grâce à son frère Jacques, dans l’entreprise de Charles Derosne, au 7 rue des Batailles sur la colline de Chaillot (emplacement actuel du Palais de Tokyo). C’est le point de départ de sa fulgurante réussite.

Charles Derosne embauche Jean-François Cail pour apporter des améliorations aux appareils de distillation que fabrique son entreprise depuis 1812. Vite conscient des aptitudes de son nouvel ouvrier, il en fait un de ses contremaitres, puis dès 1830 son bras droit. Jean-François Cail devient en 1836 l’associé de Charles Derosne dans la nouvelle société Ch. Derosne et Cail, et finalement son successeur en 1846. Fortune faite, Jean-François Cail se fera construire, en 1863, l’hôtel de la rue de Lisbonne sur un terrain de près de 6 000 mètres carrés… Comment l’ancien ouvrier a-t-il pu bâtir une si considérable fortune qui, outre l’hôtel parisien, comprenait des nombreux immeubles de rapport dans la Plaine Monceau, rue du Louvre et rue de Rivoli, mais aussi en Indre-et-Loire, le domaine de la Briche, avec son château flambant neuf ?


Du sucre au chemin de fer

Le chimiste Charles Derosne et le mécanicien Jean-François Cail, ont dans un premier exercé leurs talents, tout à fait complémentaires, dans la distillation du sucre de betterave, puis du sucre de canne, s’investissant dans la production industrielle dans les Antilles. Une solide base d’expansion internationale, qui vaudra à Jean-François Cail une réputation mondial et l’amènera à se doter de château et hôtel particulier pour recevoir ses clients du monde entier. Mais ce n’est pas tout. Jean-François Cail, pour répondre à l’expansion fulgurante du chemin de fer va également se lancer, en 1846, dans la fabrication de locomotives, en rachetant la licence de la Crampton, l’engin le plus rapide de son temps conçu en Angleterre par Thomas Russell Crampton. Ce qui donnera naissance, quai de Grenelle, à l’une des plus grandes usines parisiennes de son temps. Celle dont Paul Gauguin nous a laissé une trace indélébile.


Une trace de Cail aux Bouffes du Nord…

Evidemment le gand Cail était un philantrope, comme tous les grands capitalistes de son temps (les Bill Gates et autres François Pinault n’ont rien inventé…). Il avait non seulement investi dans des dizaines de logements sociaux pour ses ouvriers et dans un hospice à Chef Boutonne, sa commune de naissance (devenue la mairie du patelin), mais aussi dans un théâtre parisien, les Bouffes du Nord, où des dizaines d’années plus tard le grand Peter Brook exercera ses talents.


Faites une balade insolite dans le Second empire…

Si votre curiosité vous pousse du côté de la mairie du 8ème pour découvrir l’imposante façade de l’ex-hôtel Cail, profitez en pour faire un tour à l'église Saint-Augustin. Certes, coincée sur une parcelle de terrain ridicule entre le boulevard Malesherbes et le square Bergson, cette église du Second Empire, n’a pas vraiment d’allure. Mais en plongeant sous sa nef, conçue dans l’esprit des gares, on se souviendra qu’elle est l’oeuvre de Victor Baltard, l’architecte des anciens pavillons métalliques des Halles et complice du baron Haussmann.

Si le cœur vous en dit poussez jusqu’à la rue du Rocher. C’est une des rares rues de Paris qui en traverse une autre  sur un pont (la rue du Rocher traverse la rue de Madrid, qui prolonge la rue de Lisbonne à quelques encablures de la mairie du 8ème arrondissement)… Ironie de l’histoire, le pont de la rue du Rocher est l’œuvre du principal concurrent de Jean-François Cail, Ernest Gouïn. Cet ingénieur s’était lancé en 1846, lui aussi, dans la fabrication de locomotives à vapeur dans son usine des Batignolles  (aujourd’hui 174 avenue de Clichy) - l’une des plus grandes usines mécaniques de Paris avec celle de Cail, quai de Grenelle. Puis, à partir de 1849, Ernest Gouïn avait également exercé ses talents dans la fabrication de ponts métalliques avec une technique de tôle rivetée qui n’avait rien à voir avec celle de Gustave Eiffel. Le pont de la rue du Rocher est un spécimen du genre (avec le pont Marguerite à Budapest ou encore le viaduc de Culoz). Fort de cette technique, Gouïn et Cie, l’entreprise fondée par Ernest Gouïn, s’était diversifiée dans les infrastructures métalliques (notamment pour les chemins de fer) et transformée en Société de constructions des Batignolles (lointain ancêtre de l’actuel groupe Spie Batignolles).

Contrairement à Jean-François Cail, son rival, Ernest Gouïn n’avait rien d’un parvenu. Il était issue d’une famille de banquiers tourangeaux (le musée de Tours est abrité dans l’hôtel Gouïn) et avait fait des études d’ingénieur à l’Ecole Polytechique. Décidément rien à voir avec le compagnon du tour de France né dans une masure des Deux-Sèvres !

 

Pour en savoir plus

> Un document pédagogique sur Jean-François Cail