Rive gauche 1200 : un ange passe / 3

Suite de la visite dans le Paris de 1200, au Musée national du Moyen-Age...
> Entrez dans la salle 8 et dirigez-vous vers le mur du fond.
> Observez, face à vous, les sculptures monumentales de la façade occidentale de Notre-Dame de Paris.
Comment diantre des sculptures originales du 13ème siècle, provenant, de la façade principale de Notre-Dame de Paris, se retrouvent à l’entrée des thermes romains de Cluny ? Nous sommes ici face à un de ces télescopages de l’histoire qui font si souvent de Paris un indéchiffrable mystère. Voici la clé de ce mystère, du moins dans ces grandes lignes.
Un sauvetage inespéré
Au cours de la Révolution française, la façade occidentale de Notre-Dame a été mutilée. L’acharnement révolutionnaire sur le décor sculpté vient en grande partie d’une méprise. On prit alors les rois des juifs, dont les têtes ornaient la façade, pour les rois de France ! La hargne révolutionnaire contre les institutions religieuses a fait le reste. Les sculptures vandalisées ont alors purement et simplement disparues de la façade. Il aura fallu le hasard d’un chantier dans une banque de la Chaussée d’Antin, la Banque française du commerce extérieur (aujourd’hui Natixis), pour qu’elles réapparaissent à ciel ouvert en 1977. Depuis, lors elles sont conservées au musée de Cluny, dans cette salle superbement éclairée, à proximité des Thermes romains…
L’ensemble des éléments sculptés que l’on peut admirer sur ce mur date des années 1220-1230. C’est le moment précis où la sculpture gothique parisienne atteint un point de perfection : on s’en convaincra définitivement en observant le fragment du linteau du portail central de Notre Dame, présenté sur le haut du mur. L’ange souffleur de trompe donne toutes les clés d’une sculpture en pleine révolution : les boucles fournies, les yeux en amande, le visage expressif et parfaitement modelé, le corps en mouvement, la souplesse du drapé, et, par dessus tout, cette lumineuse douceur que l’on retrouvera plus tard sur le visage de l’ange de Poissy.
La sculpture gothique à son sommet
Pour vous convaincre du délicat équilibre atteint par la sculpture parisienne au 13ème siècle, jetez un œil sur l’alignement des têtes des rois de Juda, juste en dessous de l’ange. Rien de commun entre ces visages austères et hiératiques et la douceur si humaine du joli môme à la trompette. Il s’agit pourtant de la même époque. Les sculpteurs ont-ils voulu marquer la différence entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament ? D’un côté, les rois juifs acteurs de la Bible, de l’autre côté l’ange annonciateur du règne du Christ, sujet central des Evangiles. Sans doute la différence de traitement tient-elle à la différence de sujet. Mais ce que l’ange nous dit avant tout c’est que la sculpture parisienne du début du 13ème est en train de rompre avec les froids stéréotypes du passé pour célébrer la beauté du vivant, sous toutes ses formes.
A Paris, ce mouvement là traversera tout le 13ème siècle, avec des hauts et des bas, avec le risque de pêcher par excès de délicatesse et de sombrer progressivement dans le maniérisme. Dirigez-vous vers le mur de gauche et repérez la statue d’Adam. Il y a quarante ans de différence entre l’ange à la trompette et ce jeune homme, tout en longueur, légèrement déhanché, dissimulant son sexe derrière un plant de vigne… Bien sûr, cet Adam, daté de 1260, avec son corps si parfait, son visage rayonnant, sa coiffure ondulée et son élégant geste de la main, est d’une saisissante beauté… Mais tant d’élégance aurait vite fait de frôler le maniérisme. Ce qui montre à quel point, la sculpture parisienne gothique, à son sommet, est affaire d’équilibre.
Paris 1200, un ange passe...
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