Place Vendôme : Courbet, le proudhonien à l'assaut de la colonne

Gustave Courbet (1819-1877), Le désespéré, huile sur toile

Mais pourquoi donc le nom du peintre Gustave Courbet fut-il associé à la destruction de la Colonne Vendôme pendant la Commune de Paris (1871) ?


A la fin des années 1860, Gustave Courbet a déjà acquis une solide notoriété, mais pas dans le droit fil des conventions bourgeoises de l’époque. Ce franc-comtois, fils d’éleveur de bovins, a un fâcheux penchant pacifiste et démocrate qui le pousse, dans son art, à une forme de réalisme social, voire même à flirter ouvertement avec le socialisme naissant ! Ainsi, en 1850, en peignant un enterrement dans son village natal d’Ornans (Doubs) dans le format des grandes toiles réservées jusqu’alors à la peinture historique, il fait carrément scandale.

Pire encore, la même année, son tableau Les casseurs de Pierre est considéré par Pierre-Joseph Proudhon comme la première œuvre socialiste. Funeste hommage dans le Paris impérial. Pensez donc, Courbet un pote de Proudhon, le père du socialisme à la mode française ! C’est pourtant la vérité vraie ! Les deux hommes sont proches. En 1849, deux ans après son installation à Paris, le jeune Gustave, 30 ans, rend visite à Proudhon, son aîné de 10 ans, emprisonné pour sédition (les suites des barricades de 1848). Les deux hommes se connaissent bien. Ils sont l’un et l’autre originaires du Doubs. Ils ont fréquenté le même lycée. Et ils entretiendront des relations suivies : une amitié immortalisée par leur correspondance et une série de tableaux.

Dans la célèbre toile L’Atelier, refusée à l’Exposition universelle de 1855 et aujourd’hui exposée au musée d’Orsay, Proudhon lui-même apparaît à la droite du peintre, dans le groupe de personnalités qui l’ont influencé (au premier rang desquelles Charles Beaudelaire : pas très recommandable non plus !).


Et la colonne Vendôme dans tout ça ?

Il va de soi que le symbole de la tyrannie impériale n’est pas du goût de Courbet. A l’automne 1870, juste après la chute du Second Empire, l’artiste, aura le malheur de proposer au gouvernement de défense nationale de déménager aux Invalides l’encombrant symbole. Il lance même une pétition dans ce sens. Mais, me direz-vous, pétition n’est pas action.

Seulement voilà, Courbet va jouer un rôle dans la machine politique qui prendra la décision de faire tomber la colonne Vendôme. En effet, avec sa sensibilité démocrate et sociale, Courbet participe à La Commune de Paris aux côtés de ses amis proudhoniens. Il est même élu au Conseil de la Commune par le 6ème arrondissement de Paris le 16 avril 1871… Or, la Commune vient tout juste de décider, quatre jours plus tôt, de démolir la colonne Vendôme. Le texte qui la condamne vaut le détour (lire ci-contre). Et Courbet, pacifiste et démocrate, n’aurait sans doute pas renier un seul mot de ce texte, même si son intention première était moins de détruire la colonne que d’escamoter le symbole.

Courbet est un artiste. Il connaît la force des symboles. Il sait aussi apprécier la qualité d’une œuvre - la colonne, façonnée par de grands sculpteurs, est une oeuvre. Mais Courbet est aussi un artiste engagé. Il est à l’origine de la Fédération des artistes. Le 13 avril, 400 artistes ont voté la création de cette fédération, marquant ainsi leur adhésion aux principes de la République communale. Chargée de protéger le patrimoine, mais aussi de promouvoir la "République universelle", cette fédération compte dans ses rangs des stars de la peinture comme Manet, Corot, Daumier ou Millet.


Courbet a payé cher son engagement politique

Dans un premier temps, après la chute de la Commune, sa notoriété le protège. Il n’écope que de six mois de prison, alors que de nombreux militants sont condamnés au bagne ou à la mort. Mais, finalement, il ne s’en tirera pas à si bon compte. Quand en 1873, le président Mac Mahon décide de rétablir la colonne Vendôme, Courbet, accusé de sa destruction, est condamné à payer les frais de reconstruction, estimés à l’époque à quelques 323 000 francs. Conséquence : le peintre s’exilera en Suisse et y restera jusqu’à la fin de sa vie ! Quant à la colonne, paradoxalement rétablie dans son lustre impérial par le deuxième président de la IIIème République, elle est depuis lors figée dans cet état, comme si le symbole politique avait définitivement laissé la place au vestige historique. 


« Considérant que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des grands principes de la République française… » C'est en ces termes que la Commune décrète , le 12 avril 1871, la démolition de la colonne Vendôme. Le 16 mai, quelques jours avant la semaine sanglante et la fin de la commune, cette destruction hautement symbolique donne lieu à une fête !


Pour en savoir plus sur Gustave Courbet

Musée d’Orsay : Courbet affiche ses opinions

 

Déambulations autour de la colonne Vendôme

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