Un ballon nommé Barbès

Gambetta quitte Paris en ballon le 7 octobre 1870

Le 7 octobre 1870, la place Saint-Pierre de Montmartre fut le théâtre d’un événement insolite. Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur, quitta Paris assiégé, par la voie des airs. Le ballon dans lequel il s’envola avait été baptisé «L’Armand Barbès» : hommage à un révolutionnaire romantique, mort quelques mois plus tôt et aujourd’hui oublié.

 

 

> Depuis le Martyrium, continuez à descendre la rue Yvonne Le Tac. 

> Descendez ensuite la rue Tardieu. 

> Après avoir dépassé le Funiculaire de Montmartre et le square Louise Michel, arrêtez vous à l’angle de la rue Ronsard.

> Vous voici face à la Halle Saint Pierre, un marché couvert du 19ème siècle, devenu Musée de l’art brut, après avoir abrité le gymnase Ronsard.

 

  

C’est à proximité du marché Saint-Pierre que Léon Gambetta (photo) parvint, le 7 octobre 1870, à se soustraire au blocus de Paris. Il utilisa l’un des 60 ballons, gonflés au gaz de ville, de la Compagnie d’Aérostiers.  


Ce corps militaire, le premier du genre, créé par le photographe Nadar avait pour missions l’acheminement du courrier et l’observation militaire. Sa base de manoeuvre se situait au pied de la butte Montmartre, tout près de la halle Saint-Pierre, un marché couvert inauguré deux ans plus tôt.


Ici, Gambetta s’envola en ballon un mois après la défaite de Sedan, la capitulation de Napoléon III et la chute de l’Empire. Le jeune député républicain venait de jouer, le 4 septembre, un rôle décisif dans la destitution de l’Empereur et la proclamation de la 3ème République. Membre du gouvernement provisoire du général Trochu, il se vit alors confié la charge du ministère de l’Intérieur. 


Tandis que les forces prussiennes se rapprochaient de Paris, le gouvernement provisoire avait envoyé à Tours une délégation chargé de relayer son action en Province. Le 7 octobre, dans Paris assiégé, Gambetta avait pour objectif de rejoindre cette délégation par les airs. Sa mission : organiser l’administration et surtout les armées.  Sa fuite en ballon lui permit d’atteindre l’Oise, puis de rallier Tours en train, via Rouen... Au total, sa folle expédition dura deux jours.

 

C'est qui ce Barbès ?

Bien sûr, les amoureux de Montmartre n’auront pas manqué de noter que le ballon au bord duquel s’embarqua Gambetta avait pour nom l'Armand Barbès. C’est le nom que porte un boulevard voisin et, par ricochet, la station de métro la plus proche : Barbès-Rochechouart.


Mais pourquoi diantre, Nadar avait-il choisi de baptiser «l’Armand Barbès», un des quelques 60 ballons de la compagnie d'Aérostiers ? Le photographe, acquis à la cause républicaine, était tout simplement allé chercher l’inspiration du côté des figures contemporaines de la démocratie. Le second ballon qui accompagnait celui de Gambetta ne s’appelait-il pas «le George Sand», écrivaine célèbre, amie des Républicains et proche de Barbès ?  


Ensuite, Nadar s'est laissé guider par l'actualité. Armand Barbès, qui venait, tout juste, l’été précédent de mourir en exil, était alors tout auréolé de gloire. La gauche considérait volontiers cet idéaliste intransigeant comme un héros de la République. N’avait-il pas préféré à la France de Napoléon III l’exil au Pays-Bas ? Et bien que son action ait été largement vouée à l’échec, on appréciait l’intégrité de ce révolutionnaire très romantique.   


Par deux fois, Armand Barbès avait participé à des coups d’état avortés. Par deux fois, il avait écopé de très lourdes sentences, mais sans songer à s’y soustraire et sans même jugé opportun de se défendre.  


Un révolutionnaire romantique, tendance échevelée

Fils d’un médecin de la Grande Armée, formé à la prestigieuse école militaire de Sorèze dans le Tarn, Armand Barbès avait une certaine idée du devoir. Il avait aussi subi l’influence des idées révolutionnaires de Gracchus Babeuf, mais aussi la vision progressiste des Saint Simoniens. Ce qui l’avait fait basculer vers un conception égalitaire et sociale de la République. Héritier d’une confortable fortune, il s’était mis tout entier au service de la cause révolutionnaire. Pour le meilleur et pour le pire. 


En 1839, avec la complicité d’Auguste Blanqui, Barbès échafauda, dans le cadre d’une société secrète, le projet de proclamer un gouvernement provisoire à l’Hôtel de ville  de Paris. Le 12 mai, la brève insurrection armée à laquelle il prit part fit une centaine de morts. Elle se solda par son arrestation et la fuite de Blanqui.  


Traduit devant la Cour des pairs pour atteinte à la sûreté de l’Etat et tentative d’assassinat, Barbès ne jugea pas utile de se défendre d’un acte qu’il assumait pleinement et se laissa condamné à mort. Il ne dut sa survie qu’à l’intervention de sa soeur auprès du roi, Louis Philippe.



Un deuxième coup d'état pour rien

Après neuf années de détention, l’insurrection de 1848 précipita sa libération. Sa libération et sa perte. Tout juste élu à l’Assemblée constituante en avril, Armand Barbès assista le 15 mai à l’invasion du Palais Bourbon par une manifestation conduite par Blanqui. Et, malgré son engagement aux côtés du gouvernement provisoire de Lamartine, il ne put s’empêcher de rejoindre le camp des émeutiers. 


Encore plus isolée et rocambolesque que la première, sa nouvelle tentative de proclamer, à l’Hôtel de ville un gouvernement révolutionnaire, se solda par son arrestation. Une nouvelle fois, il refusa de se défendre devant la Haute cour de justice, qui le condamna à la déportation.  


Cinq ans plus tard, Napoléon III gracia Barbès, mais notre héros préféra à la France du Second Empire un long exil au Pays-Bas. Il mourut à Anvers le 26 juin 1870. Son attitude intransigeante, mais aussi les hommages que lui avaient rendu Victor Hugo, George Sand ou Louis Blanc finirent par en faire une star de la République. 


En 1882, sous le gouvernement de Gambetta, un boulevard du 18ème arrondissement fut baptisé «Barbès». Le nom est resté. Il est devenu celui d’une station de métro et de tout un quartier. Mais qui se souvient encore d’Armand Barbès ? Si son cas vous intéresse lisez la biographie écrite par son arrière petit-fils, Robert Merle.

  

> Longez le marché Saint-Pierre vers la rue d’Orsel.

> Descendez la rue d’Orsel, puis tournez à droite dans la rue de Clignancourt.

> Vous voici dans le boulevard Rochechouart.

> Descendez, sur votre gauche, le boulevard Rochechouart, jusqu’au boulevard Barbès.

 

Vous voici rendu à Barbès-Rochechouart, terme de notre visite. C’est le nom d’un carrefour et celui d’un quartier très populaire. Ce nom est aussi l’association paradoxale de deux personnages qui n’auraient jamais du se rencontrer : Armand Barbès, le révolutionnaire romantique du 19ème siècle et Marguerite de Rochechouart de Montpipeau, abbesse de Montmartre au 18ème siècle (juste avant Marie-Louise de Montmorency-Laval), qui, elle aussi a donné son nom à une rue et un boulevard. 


Barbès-Rochecouart, improbable tandem, ne résume-t-il pas l’histoire de Montmartre, tout à la fois butte blanche et butte rouge ?


Fin de la balade à Montmartre