Un prieuré peut en cacher un autre

L'abbaye de Montmartre, 17ème siècle, Source : Galica

De l’abbaye royale de Montmartre, il ne nous reste que l’église Saint-Pierre, là haut sur la butte. C’est le seul vestige du  «prieuré d’en haut», fondé» au 12ème siècle par les bénédictines. Mais il existait aussi une «abbaye d’en bas», érigée cinq siècles plus tard, dont nous n’avons que le souvenir.

 

A partir de 1622, deux abbayes vont coexister : "l'abbaye d'en haut", c'est à dire le prieuré fondé sur la butte au 12ème siècle et "l'abbaye d'en bas", prieuré édifié près de la chapelle du martyre à partir de 1622. Mais pourquoi fit-on coexister deux abbayes dans un même enclos ?


>  Arrêtons-nous quelques minutes sur le parvis de l’église Saint-Pierre de Montmartre (2, rue du Mont-Cenis), pour rassembler nos souvenirs.

 

Selon la légende, Denys, évêque missionnaire, venu d’Italie évangéliser les parisiens, fut décapité, vers 250, par les Romains sur la butte Montmartre (lire notre article). Mais où donc eut lieu le martyre ? Une tradition, bien ancrée dans les mémoires, le situe à mi pente de la butte, en haut de l’actuel rue des Martyrs, donc tout près de la place des Abbesses.


Le lieu du martyre de Saint-Denis 

Depuis des siècles, il existait en ce lieu, une chapelle et peut-être même une nécropole, fondée par les premiers chrétiens. De la chapelle il subsiste une trace irréfutable dans les actes royaux qui ont donné naissance à l’abbaye de Montmartre au 12ème siècle. Dès leur installation sur la butte, les bénédictines récupèrèrent le petit édifice religieux, situé à mi pente, à quelques 400 mètres en dessous de leur prieuré et de l’église Saint-Pierre. 

 

Un pèlerinage très «people»

Ce lieu, pendant des siècles, devint une sorte de mémorial du martyre de Saint-Denis et, bien entendu, un but de pèlerinage. On y vit défiler tout ce que l’Europe chrétienne comptait de célébrités : des rois, des papes, des religieux,  comme Thomas Becket (1117-1170), l’archevêque de Cantorbéry, ou Ignace de Loyola (1491-1556), le fondateur de la Compagnie de Jésus, et, bien sûr, l’incontournable Jeanne d’Arc (1412-1431). 

 

Enfin, et surtout, la chapelle du martyre, fut une des «stations» du pèlerinage qui conduisait les parisiens de Notre-Dame-des-Champs à l’abbaye de Saint-Denis. Un pèlerinage dans les pas de Saint Denis, qui gravissait la butte par la rue des Martyrs, justement nommée. C’est précisément sur le lieu présumé du martyre, que s’édifia «l’abbaye d’en bas», cinq siècles après la naissance de «l’abbaye d’en haut».


A la fin du seizième siècle, l’abbesse de Montmartre, Marie de Beauvilliers, s’attaqua à la refondation de son abbaye, dont la réputation avait été quelque peu écornée, notamment par les frasques d’Henri IV avec une des abbesses (Claude de Beauvilliers, la soeur de Marie). 

 

La crypte des premiers chrétiens

Marie de Beauvilliers reprit en main la discipline, mit de l’ordre dans les bâtiments et s’attaqua notamment à la restauration de la chapelle du Saint Martyre. C’est alors que l’on découvrit, sous la chapelle, une crypte, taillée dans le gypse (célèbre pierre de Montmartre qui sert à fabriquer le plâtre). Et l’on eut tôt fait de relier ce lieu mystérieux à l’histoire de Saint Denis. Cette crypte, dit-on, fut le refuge des premiers chrétiens. Et Saint Denis y aurait dit la messe.

 

Cette découverte, en 1611, fit grand bruit. Elle suscita l’intérêt de la cour de France. La régente Marie de Médicis, tout juste veuve d’Henri IV, se rendit sur les lieux en grand équipage. Les parisiens accoururent. Bref, la chapelle du martyre fut tout à coup le centre névralgique de l’abbaye. 

 

Une abbaye chasse l’autre

En 1613, l’abbesse Marie de Beauvilliers installa, à proximité de la crypte, un second prieuré, qui devint «l’abbaye d’en bas» et finit par remplacer «l’abbaye d’en haut». En 1682, les bénédictines s’installèrent dans un magnifique monastère de style classique, près de la chapelle du martyre, elle-même devenue une  belle et grande église abbatiale.


Pour autant l’église Saint-Pierre ne fut pas définitivement abandonnée. Elle demeura l’église des paroissiens. Et, surtout, les bénédictines continuèrent à s’y rendre, grâce à la construction, au début du 17ème siècle, d’une galerie en bois de 400 mètres de long, dont l’escalier permettait de grimper de l’abbaye d’en bas à l’abbaye d’en haut.


Montmartre, 2000 ans d'histoire